Il est arrivé, seul et tout sourire, au volant d’une drôle de petite voiture électrique – un pot de yaourt jaune criard de confection chinoise, bien éloigné des 4×4 rugissants dans lesquels il se fait d’habitude conduire. William Ruto ne s’est pas contenté de brillamment maîtriser son entrée en scène à l’ouverture du Sommet africain pour le climat, qu’il accueillait à Nairobi du 4 au 6 septembre : il a aussi réussi un coup de maître à sa clôture, en arrachant une position commune des pays africains dans les prochaines négociations climatiques internationales, notamment en vue de la COP28 de décembre à Dubaï.
En un an au pouvoir, William Ruto, quinquagénaire dynamique et homme d’affaires accompli, s’est imposé comme une voix africaine forte sur la scène internationale. Sur le climat d’abord, avec une intervention remarquée dès la COP27 à Charm El-Cheikh, en novembre 2022, quelques semaines seulement après sa prise de fonctions. Sur le fonctionnement de la finance mondiale ensuite, égratignant les défaillances des institutions de Bretton Woods et les pressions induites par l’hégémonie du dollar sur les budgets des Etats africains. A Paris, en juin, cet allié sûr de l’Europe et des Etats-Unis n’a pas hésité, lors d’un échange énergique, à bousculer Emmanuel Macron au sujet d’une taxation mondiale sur les transactions financières.
Ni le climat, ni les arcanes de la finance mondiale, ni le panafricanisme n’étaient pourtant au cœur de la campagne de William Ruto. Issu d’un milieu modeste et devenu l’une des plus grandes fortunes du Kenya, il a remporté l’élection de 2022 en promettant une baisse du coût de la vie aux plus pauvres, ce « petit peuple des débrouillards » (la « hustlers nation ») qui compose la majorité de la population, se battant tous les jours pour nourrir leur famille dans un contexte de ralentissement économique et d’inflation. Parvenant à se présenter en outsider du système, celui qui était vice-président depuis dix ans a promis des emplois à la jeunesse et une baisse des prix alimentaires.
Un an plus tard, beaucoup de Kényans font la grimace. Dans un récent sondage, 75 % des personnes interrogées estiment que le pays va dans la mauvaise direction. Certes, l’inflation ralentit (+ 6,7 % en août, sur un an) et certains prix ont légèrement baissé, mais ceux des farines (celle de maïs est à la base des repas) et des haricots ont progressé.
« Les promesses étaient trop grandes »
« Le tableau est mitigé, avec quelques poches de succès ici et là », estime l’économiste Kwame Owino, directeur de l’Institut des affaires économiques, soulignant que des engrais moins chers ont été livrés aux agriculteurs – un autre engagement fort de la campagne. « Les promesses étaient trop grandes. Au terme de cette première année, nous avons quelque chose qui n’est pas à la hauteur de ce que les gens attendaient au vu de la campagne », ajoute-t-il, pointant les mesures fiscales comme la grande « ombre au tableau » du point de vue des citoyens.
William Ruto a hérité d’un pays dont la monnaie s’effrite face au dollar et en risque de défaut sur sa dette publique (environ 64 milliards d’euros, plus de 50 % des revenus de l’Etat allant à son remboursement). A rebours des promesses, le gouvernement a multiplié les nouveaux impôts pour parvenir à honorer ses échéances, dit-il, et conserver le soutien du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale. Doublement de la TVA sur les carburants, taxe de 1,5 % pour construire des logements abordables, hausse de 50 % du prix de l’électricité, imposition à 35 % des plus hauts salaires… « Ils vont finir par taxer l’air que nous respirons », s’est exclamé Kalonzo Musyoka, une figure de l’opposition, dont les journées de manifestations ont débouché sur des dizaines de morts.
Les Kényans ont fini par surnommer le très croyant chef de l’Etat « Zakayo », du nom de Zachée, opiniâtre collecteur d’impôt de la Bible, tandis que le Daily Nation consacrait mi-août la couverture de son magazine dominical au « seigneur des taxes », grimant le président en gladiateur sans pitié armé d’une hache.
L’administration Ruto s’est lancée dans une campagne agressive de collecte de l’impôt (que relativement peu de gens payent, soit parce qu’ils travaillent dans l’informel, soit parce qu’ils parviennent à y échapper) et a promis de lutter contre la corruption. A l’attention des hommes d’affaires corrompus, le président a récemment donné trois « options » : « Mambo ni matatu [« il y a trois choses » en swahili] : quitter le Kenya, aller en prison, rejoindre le paradis. » Malgré la force de ces menaces à peine voilées, le « mambo ni matatu » est rapidement devenu une plaisanterie virale revisitée à toutes les sauces, mais la sortie a aussi ravivé l’image historiquement sulfureuse du président, si policée à l’international.
Violations « délibérées » de la Constitution
Après les violences post-électorales de 2007-2008, il avait été poursuivi par la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes contre l’humanité – des charges finalement abandonnées. Selon Sheila Masinde, directrice locale de l’ONG Transparency International, la première année de l’administration Ruto (lui-même plusieurs fois accusé par le passé de corruption ou d’appropriation de terres, ce qu’il a toujours nié) a été notamment marquée, « malgré des efforts », par « des violations délibérées de la Constitution » et « des abus en matière de droits humains ».
« William Ruto a plusieurs facettes et ces différentes facettes ne s’excluent pas », observe une diplomate au Kenya. A ce titre, elle juge possible que le chef de l’Etat soit convaincu par l’urgence climatique – « agronome de formation, il est par exemple très conscient de la vulnérabilité du Kenya en matière de sécurité alimentaire » – tout en y recherchant des opportunités économiques. Au sommet de Nairobi, le président a ainsi plaidé pour la protection des puits de carbone. « Ils ont le potentiel d’absorber des millions de tonnes de CO₂ par an, ce qui devrait se traduire par des milliards de dollars » de revenus en crédits carbone, a-t-il assumé lors d’un de ses discours.
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Au cours d’une autre intervention, William Ruto a pointé « la vitesse, le volume et le caractère abordable » comme les « trois choses importantes » pour un financement vert de l’Afrique. « Comme on dit au Kenya : “mambo ni matatu” », a-t-il insisté, dans une pirouette qui a arraché un gloussement au parterre feutré de la salle.