L’histoire a comme un air de déjà-vu. Le 19 septembre, deux gendarmes ivoiriens ont été arrêtés par des soldats burkinabés au nord-est du pays, du mauvais côté de la frontière. Les agents, venus de la gendarmerie de Bouna, chef-lieu de la région de Bounkani, se trouvaient près du site d’orpaillage clandestin du village de Kwamé Yar. Selon leurs déclarations, ils auraient traversé par mégarde la frontière en pourchassant des orpailleurs. Dans cette zone peu voire pas surveillée, ce type d’incident est récurrent et se solde généralement par un renvoi. Seulement, au lieu d’être reconduits après quelques heures une fois vérifiée leur identité, les deux gendarmes ont été emmenés à Ouagadougou, où ils sont détenus depuis trois semaines.
Le Burkina Faso n’a pas dévoilé les faits qui leur sont imputés et la Côte d’Ivoire maintient une certaine opacité autour des négociations. Les ministères interrogés par Le Monde bottent en touche. Les deux gendarmes « vont bien, il n’y a aucune alerte les concernant », s’est contenté d’assurer le ministre ivoirien de la communication et porte-parole du gouvernement, Amadou Coulibaly, le 28 septembre. « Les discussions sont en cours avec les autorités burkinabées, comme cela se fait habituellement, a-t-il ajouté. En général, les remises se font sans problème. Nous sommes optimistes dès lors que le dialogue n’est pas rompu. »
En mars, trois policiers appréhendés à la frontière au nord de Doropo, carrefour commercial et zone d’infiltration djihadiste, par une patrouille de chasseurs traditionnels dozos qui prêtaient main-forte à l’armée burkinabée, avaient été libérés le soir même après des discussions entre états-majors. En septembre, c’est un militaire malien qui avait été interpellé en territoire ivoirien, dans la localité de Niougou. Une incursion motivée par de banales emplettes. Le soldat avait été remis aux autorités maliennes deux jours plus tard.
Mais l’affaire des gendarmes rappelle surtout celle des 49 soldats ivoiriens arrêtés au Mali en juillet 2022 et accusés par Bamako d’être des « mercenaires », tandis que la Côte d’Ivoire affirmait qu’ils se trouvaient en mission pour l’ONU dans le cadre d’opérations de soutien logistique à la Minusma, la mission des Nations unies au Mali. Le contingent s’était retrouvé au cœur d’un imbroglio diplomatique abondamment médiatisé. Condamnés par un tribunal malien à vingt ans de réclusion pour certains, à mort (par contumace) pour les autres, ils avaient finalement été graciés et libérés en janvier 2023.
Des relations tendues
Contrairement aux 49 soldats, les deux gendarmes de Bouna ne se trouvaient pas sur un territoire étranger en mission officielle pour le gouvernement ivoirien, mais par inadvertance. Par ailleurs, les deux hommes n’ont pas immédiatement décliné leur identité au moment de leur interpellation par l’armée burkinabée, selon une source proche du dossier. Un manquement qui peut sembler étrange, si ce n’est que les trafics et la corruption sont endémiques dans cette région et qu’une implication de ces gendarmes n’est pas à exclure.
« Cette affaire banale intervient malheureusement dans un double contexte d’insécurité au Sahel et de refroidissement des relations entre Abidjan et Ouagadougou », explique le politologue Geoffroy-Julien Kouao.
Entre janvier et février, la Côte d’Ivoire avait livré au Burkina, gracieusement mais discrètement, des armes, des munitions et des pick-up au nom de la coopération entre les deux pays dans la lutte antiterroriste. Un cadeau d’une valeur totale de 2,3 milliards de francs CFA (3,5 millions d’euros), selon le média burkinabé Radio Oméga. Ouagadougou aurait même adressé une lettre de remerciements à son voisin.
Mais les relations entre les deux pays se sont tendues depuis le coup d’Etat survenu fin juillet au Niger. « Les prises de position fermes de la Côte d’Ivoire contre les prises de pouvoir anticonstitutionnelles et son soutien à la décision de la Cedeao [Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest] d’intervenir militairement au Niger la rendent suspecte aux yeux des autorités du Burkina Faso », poursuit Geoffroy-Julien Kouao. Le président ivoirien, Alassane Ouattara, a en effet appelé en août l’organisation régionale à prendre les armes contre les putschistes « dans les plus brefs délais ». A l’inverse, le Burkina, également dirigé par des militaires, s’est montré solidaire de la junte et a même créé une coopération de défense tripartite avec le Niger et le Mali, l’Alliance des Etats du Sahel.
Le président burkinabé de transition, Ibrahim Traoré, a déclaré le 30 septembre qu’il n’y avait « aucun problème » entre « les peuples burkinabé et ivoirien », tout en concédant que les politiques de ces pays « peuvent différer ». Le capitaine Traoré a reconnu la livraison de matériel militaire de la part de la Côte d’Ivoire, mais a ajouté qu’une contribution financière d’Abidjan « serait la bienvenue ». Selon nos informations, le Burkina exigerait aussi, désormais, l’extradition de personnalités burkinabées détenues en Côte d’Ivoire, dont Sékou Ouédraogo, l’ex-directeur adjoint du renseignement, contre qui une procédure judiciaire est en cours.