Rendez-vous a été fixé en fin de journée dans une grande école, dont le nom restera anonyme, pour ne pas exposer son directeur. Le quartier, situé dans la banlieue de Karachi, la capitale économique du Pakistan, est plongé dans le noir, soumis à d’incessantes coupures d’électricité en raison de la vétusté des infrastructures. Un groupe d’étudiants, jeunes hommes au style occidentalisé, jeunes filles, portant foulard et robe traditionnels, est réuni dans une salle, si calfeutrée qu’aucun son ne risque de s’en échapper.
Muhammad, 22 ans, bouillonne. Son héros, Imran Khan, ancienne gloire nationale du cricket, champion de la jeunesse, au zénith de sa popularité, croupit en prison depuis le mois d’août et ne pourra pas être candidat aux prochaines élections générales au Pakistan. Alors l’étudiant n’ira pas voter le 8 février 2024.
« A quoi bon ?, déclare-t-il. Les jeux sont déjà faits, l’establishment a choisi son candidat. Nawaz Sharif sera le prochain premier ministre. » Il n’éprouve rien de bon pour ce septuagénaire déjà trois fois premier ministre, de retour au pays après quatre ans d’exil volontaire à Londres pour éviter de purger une peine de prison dans une affaire de corruption. « Le Pakistan est en très mauvaise santé sur le plan économique et démocratique, poursuit Muhammad. Je n’ai aucun espoir pour mon pays, car on ne peut pas lutter contre l’establishment. Le seul qui a essayé est aujourd’hui derrière les barreaux. »
Au Pakistan, l’« establishment » désigne l’armée, cet Etat dans l’Etat qui dirige le pays directement ou en coulisse depuis la création de la république, en 1947, après la partition de l’Inde. Le chef d’état-major, Asim Munir, a donné un nouveau tour de vis en mai après la flambée de colère dirigée, entre autres, contre des institutions militaires. Elle avait eu lieu lors de manifestations qui avaient éclaté dans tout le pays en réaction à la première arrestation d’Imran Khan. L’ancien premier ministre, renversé en avril 2022, à la suite d’un vote de défiance au Parlement, avait massivement mobilisé les citoyens autour de l’idée d’un complot du chef des armées. Il était en disgrâce, après avoir été le favori des militaires en 2018. Jamais, depuis soixante-quinze ans, un premier ministre pakistanais n’a été au terme de son mandat.
Harcelé par la police
La plupart des étudiants réunis ce soir de novembre s’apprêtent à boycotter le scrutin dans une sorte de geste de désobéissance. Muhammad aurait pu avoir la tentation de voter pour un trentenaire et représentant local, Bilawal Bhutto, le fils de Benazir, l’ancienne première ministre assassinée en décembre 2007, dont le fief se trouve à Karachi, capitale de la province du Sind. Ministre des affaires étrangères dans le dernier gouvernement, le président du Parti populaire pakistanais (PPP) sait à quel point la jeunesse va compter. Il promet, s’il gagne, de donner la priorité à l’autonomisation des jeunes.
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